L’hôpital

Construire un hôpital à Galagala

Depuis leur arrivée en République Centrafricaine au début des années soixante, les Sœurs de la Charité de Sainte Jeanne-Antide Thouret œuvrent dans le domaine de la promotion féminine, de la santé, de la pédagogie et de la pastorale.
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Réparties dans la «Province d’Afrique Centrale» – au Tchad, au Cameroun et en Centrafrique – les Sœurs de la Charité ont créé des jardins d’enfants, des écoles, des dispensaires, des centres nutritionnels et de dépistage du VIH, des foyers d’accueil pour jeunes filles, des centres de formation de promotion féminine, des programmes de réinsertion des enfants des rues, etc. Pareillement, la congrégation finance les études de ses sœurs africaines : infirmières, ergothérapeutes, kinésithérapeutes, maîtresses d’école sont envoyées dans les régions excentrées de la Province d’Afrique Centrale où le personnel qualifié fait défaut.

Un Centre de Santé débordé

centre de santé

D’entente avec Mgr Djida, évêque de N’Gaoundéré, les Sœurs de la Charité se sont lancées un nouveau défi qui répond à un appel pressant de la population: construire un hôpital à Galagala, près de Ngaoundal dans la région de l’Adamaoua. Au nord du Cameroun, cette zone montagneuse, frontalière de la République Centrafricaine et du Nigéria, s’étend sur une superficie de 64 000 km2 et compte plus de 60’000 habitants. Pour la population, qui vit principalement de l’élevage, l’hôpital le plus proche se trouvait à une centaine de kilomètres. La route qui y mène est quasiment impraticable, en particulier lors de la saison des pluies, six mois par année. Dans les années quatre-vingt, les Sœurs de la Charité ont construit un Centre de Santé à Ngaoundal pour pallier la situation.

Depuis, vaccinations, premiers soins mais surtout suivis des grossesses et accouchements y sont assurés. Les malades du VIH sont en outre très nombreux dans cette zone de passage entre le nord et le sud. Les examens et les médicaments se révélant fort coûteux, le Centre de Santé prend en charge les patients qui n’ont pas les moyens de se payer une trithérapie et leur fournit une nourriture adéquate si nécessaire. Les orphelins de parents décédés à cause du sida, suite à un accouchement ou diverses pathologies, reçoivent une aide nutritionnelle ou médicamenteuse. Les malades indigents sont également pris en charge par le Centre. Mais face à l’afflux croissant de patients, le dispensaire des Sœurs de la Charité était devenu trop exigu. De surcroît, un bloc opératoire et des médecins pour assumer les accouchements difficiles et autres opérations lui faisait défaut. Plus de 250 malades par année nécessitaient un transfert à l’hôpital du district à 100 kilomètres de là. Durant ce trajet souvent chaotique, nombre d’entre eux succombaient en laissant derrière eux une famille.

Un hôpital d’urgence !

Les Sœurs de la Charité soulignent l’urgence de la situation : la construction d’un hôpital ne peut plus attendre. Celui-ci comportera le précieux bloc opératoire mais également un service d’analyses plus approfondies. De même, un centre de formation, des stages sanitaires ainsi qu’un centre nutritionnel verront le jour dans ses murs. Ce dernier permettra de parer aux multiples carences alimentaires et apprendra aux mamans les astuces pour mieux nourrir leurs enfants avec les produits du terroir. Le dispensaire actuel à Ngaoundal ne sera pas abandonné. Sous peu, il sera restructuré et servira de foyer pour les jeunes filles des villages environnants qui veulent fréquenter l’école technique tenue par les Sœurs.

hopital 1La construction de l’hôpital a donc débuté en 2010 à Galagala, disposant d’un territoire plat, étendu et facile d’accès à cinq kilomètres de Ngaoundal. Avec l’aide des autorités locales, la première action a été de creuser une source pour alimenter le futur hôpital, une eau potable dont pourra aussi bénéficier la population. Dans les villages alentours, on ne trouve en effet que quelques puits de maximum huit mètres de profondeur. Durant la saison des pluies, ceux-ci ne donnent qu’une eau parcimonieuse, vite tarie en saison sèche. À noter que le manque d’eau potable augmente singulièrement le risque de maladies (typhoïde, parasites, etc.). La population, qui a compris la force de l’engagement des Sœurs de la Charité, les a beaucoup aidées pour la création de la source.

Les fondations de l’hôpital sont aujourd’hui bien avancées. A l’heure actuelle, le gros œuvre concerne le dispensaire, le bloc opératoire, la maternité et les chambres au niveau de la charpente. Le bois vient d’arriver par wagons. Sous peu, les ouvriers de la société Tojel construction, environ 25 personnes de diverses spécialités, commenceront l’implantation du pavillon de 41 chambres et du bâtiment administratif.

Les annexes suivront après ce travail. Une Sœur suit le chantier avec un contremaître résidant sur place de même que toute son équipe. Toutefois, la construction de l’hôpital n’est pas sans rencontrer quelques difficultés : il faut par exemple trouver et acheminer des matériaux de qualité depuis Yaoundé à 800 kilomètres de là. Mais surtout, c’est le financement du projet qui inquiète les Sœurs de la Charité. Plus de 253 000 frs ont déjà été investis dans le projet mais il leur manque environ 250 000 frs pour tout finaliser. Si vous souhaitez soutenir l’Association Hôpital Galagala, créée en Valais cette année et amener votre pierre à l’hôpital, n’hésitez pas à nous faire un don! Merci infiniment !

L’hôpital en 2022 

Interview:

Trois questions aux Sœurs-infirmières de la Charité de Sainte Jeanne-Antide Thouret:

Nous avons rencontré deux Sœurs de la Charité africaines, Sœur Thérèse et Sœur Lucie qui travailleront parmi d’autres dans le futur hôpital de Galagala. Celles-ci ont été spécialement formées dans le domaine de la santé pour pallier le manque de personnel médical dans l’Adamaoua, en particulier à Ngaoundal. Dans cette région pauvre et excentrée, leurs tâches iront cependant bien au-delà des soins de la santé physique.

Outre le soin aux malades, quelles seront vos activités dans le futur hôpital de Galagala ?

Sœur Thérèse : Le but de nos activités à l’hôpital n’est pas seulement limité aux soins des malades, mais aussi à leur éducation. Nous avons constaté qu’il y a des femmes qui viennent beaucoup plus que les autres chez nous pour différents motifs et nous avons remarqué que celles-ci sont moins scolarisées, voire pas du tout. En les côtoyant, nous avons découvert que si elles comprennent certaines notions ou manières de se tenir, ceci entrainera une amélioration de la santé dans leur famille et moins de charges pour elles. Cette éducation dépendra des problèmes constatés dans la population. Elle concernera l’hygiène corporelle, vestimentaire, alimentaire, environnementale, sans oublier l’aspect social et la gestion du revenu familial afin d’être capable de s’auto-prendre en charge en cas d’imprévus. Nous toucherons aussi l’aspect de l’éducation de leurs filles, car celles-ci sont un peu laissées pour compte sur le plan de la scolarisation.

Sœur Lucie : Notre fonction éducative embrasse tous les niveaux de la vie humaine. Au niveau sanitaire, nous faisons comprendre aux mamans, et aux parents en général, qu’il faut amener au plus vite leurs enfants ou les personnes malades à l’hôpital. par exemple quand la fièvre qui les touche est encore à ses débuts. Il ne faut pas qu’ils attendent le dernier moment lorsque l’état de la personne est trop grave et que celle-ci est mourante.

Nous encadrons également les mères sur le plan nutritionnel : étape de sevrage, de bonne nutrition et de soins dus à l’enfant en bas âge. Nous essayons d’inculquer aux patients le respect des biens communs (les chambres, les lits, les toilettes, la cuisine), etc.

La différence de confession avec vos futurs patients (majoritairement musulmans) peut-elle poser problème dans vos soins et doit-elle vous rendre attentives à certaines particularités culturelles ?

Sœur Thérèse : La différence de confession avec nos futurs patients ne peut être un problème que dans la mesure où nous voudrions vraiment établir une différence de confession, ou de personnes. La seule arme efficace pour briser les différences est de garder à l’esprit l’héritage de nos Sœurs ainées : voir en tout patient le visage du Christ, chercher à le mettre debout afin de lui donner sa dignité humaine, c’est-à-dire la guérison sur le plan bio-psycho-socio-spirituel. C’est l’être malade qui nous intéresse en premier lieu. L’aspect de la religion vient en second lieu, car cet aspect nous permettra d’être bien attentives aux soins apportés au patient par rapport aux interdits, aux rites dans le respect, etc. Il y a certains comportements liés à la confession qui sont à l’origine de multiples problèmes de santé.

Du point de vue culturel, en effet, nous devons être bien attentives à certaines particularités propres à chaque malade, car pour l’aborder il faut le traiter comme une mère traite son enfant, comme un(e) jeune traite son(sa) fiancé(e). Nous sommes appelées à connaître les habitudes culturelles de nos populations afin de bien les prendre en soin. Exemple banal : si je sais qu’un enfant ne doit pas manger de l’œuf ou du poisson, (comme il est prescrit dans la culture de certaines tribus) et que j’ai besoin de donner ces aliments comme complément alimentaire à un enfant malnutri (kowshichor), je ne forcerai pas mais je chercherai à faire comprendre aux parents d’où vient l’origine de la maladie. Cela nous fera un thème d’éducation.

C’est à nous de nous adapter aux patients, les accepter tels qu’ils sont afin de pouvoir les aider, puisque c’est de l’ignorance que découlent certains comportements. Alors notre devoir en tant que Sœurs de la Charité et personnel de la santé est de les éduquer et les prendre en soin. Car selon nous, l’acceptation de l’autre et l’amener à s’accepter est un médicament efficace pour tout malade.

Pour cette question, si nous pensions vraiment à la confession et à la culture, nos Sœurs ne se seraient pas données corps et âmes avec l’aide des bienfaiteurs à la réalisation de cet hôpital. C’est par souci du bien-être et de la dignité de cette population laissée à elle-même dans l’ignorance qu’elles se sacrifient.

Sœur Lucie : La différence de confession avec nos futurs patients majoritairement musulmans ne peut pas être un problème parce que nous les côtoyons déjà ici au dispensaire (Centre de Santé intégré Catholique des Sœurs de la Charité à Ngaoundal). Ces derniers sont très gentils, ils nous respectent, nous sommes en bonne relation avec eux. Au contraire la difficulté que nous avons, c’est la langue pour se comprendre (ils parlent le Fufuldé). Nous sommes obligées d’apprendre les mots essentiels ou la langue entière si nous avons le don. Il n’y a pas de particularités culturelles, Juifs ou Païens sont tous membres du Christ souffrant.

Nous avons constaté au Cameroun un très grand respect pour les religieuses, comment expliquez-vous cela?

 Sœur Thérèse : Nous pouvons dire que ce respect ne va pas de soi, il découle du respect que les religieuses accordent à toutes personnes qu’elles rencontrent ; car le respect est mutuel. Il est aussi le fruit de l’importance de la dignité humaine que ces dernières donnent à tout homme, à tout patient, elles les considèrent comme leurs fils, frères, sœurs, mères ou pères.

Un aspect que nous voulons souligner pour notre institut (pas pour s’enorgueillir), c’est que l’homme ou le patient est au centre de notre activité. Quand les malades graves arrivent chez nous, nous les prenons en charge immédiatement sans chercher à savoir de quelle confession ils sont ou de quel village ils viennent. Ce qui est important pour nous, c’est leur vie, et l’argent vient après, puisque le centre doit fonctionner. L’accueil, la disponibilité, l’écoute et la propreté soulagent nos patients à 50%. En outre, notre possibilité d’adaptation, notre esprit de créativité et d’initiative, nous permettent de bien travailler afin de prendre soin de nos patients, car nous n’avons pas beaucoup de matériels adéquats pour réaliser certaines activités ou soins. C’est cela qui est à l’origine du respect des religieuses. Cela vaut aussi pour d’autres activités en dehors de la santé.

Il y a aussi quelques religieuses ou autres personnes qui ne sont pas du tout respectées, car, comme j’ai dit plus haut, il manque – des deux côtés parfois – le respect dû à l’autre.